Les Soeurs Pucerons
Les Soeurs Pucerons
Sur un rosier aux tons chatoyants
Etaient installées deux soeurs pucerons,
Clones de leur mère, aux contours ronds,
Aux ventres, aux abdomens verdoyants.
Pareilles de corps mais différentes de pensée,
Seule la gourmandise les rapprochait un peu :
Dans un jeune pousse la trompe bien enfoncée
Elles aspiraient leur ambroisie avec feu...
Pour faire taire les deux
La soupe annoncée .
Elles adoraient donc toutes les deux la sève,
Mais l’une, la plus jeune, avait pour rêve
De connaître les tiges de toutes les autres fleurs ;
Distraites, elle ne prenait garde aux prédateurs !
L’aînée, elle, se mirait dans chaque gouttelette
Comme si la perle lui disait : Toi seule est belle.
Sans cesse, elle se plaignait de sa cadette :
« Mère ! Mère ! la musique de ma sauterelle
Elle écoute encor ! »
Ou : « Maman ! Elle s’est reposée sous ma feuille !
Si elle recommence tu seras en deuil ! »
Sans pousser trop l’effort
Cela se ferait, elle le savait...
« A quoi pensai-je lorsque je la sauvai
De l’Ogre rouge à sept points,
Et plusieurs fois ! »
– Celle qui eut le plus devrait se plaindre le moins !
Et tu geins, tu aboies,
Tu amènes toute l’attention à toi !
Si tu voulais voir, ma fille, avec quels soins
Elle veut apprendre de toi
Tu serais fière d’elle, et de toi plus encor :
C’est de cette façon que l’on devient plus fort ...
Mon aînée, j’ai d’autres enfants à surveiller,
Pour ton bien-être et le sien
L’une sur l’autre vous devez veiller, »
Finit la mère qui ne lui dirait plus rien.
Ma mère, pensa-t-elle, me blesse
Mais n’est-ce pas preuve de faiblesse
Qu’une mauvaise attitude pardonnée ?
« Elle me suit partout
Comme une puce sur un matou, »
Reprit à haute voix l’aînée,
Puis hurlant comme une damnée
En pointant, braquant les yeux vers sa soeur :
« Elle a cassé ma première exuvie !
– Mais moi aussi je t’ai déjà sauvé la vie ! »
Cria la cadette, - le mal au coeur - ,
Qui se tut jusque-là pour être défendue
Par celle dont elle était issue.
« Pour des bêtises de petites filles
Tu m’en veux, tu m’étrilles,
Tu me donnerais à la Mort,
A l’écarlate monstre qui nous dévore !
Or, te sauver, je continuerai à le faire
Car notre vie est éphémère ! »
Les soeurs pucerons en même saison
Effectuèrent leur ultime mue.
Comme Nature ne fait comparaison
C’est au repas, à la panse repue,
A la somme de nutriment convenue –
Et non à la taille ou l’heure à laquelle
On vit le jour, on naît
Qu’est déterminé le moment où l’on renaît
Dans une peau neuve pourvue d’une solide aile ;
La soeur aînée en fut courroucée davantage,
Se sentit désavantagée
Sans savoir que Dame Nature point n’avantage
Que l’on soit jeunette ou âgée !
La première-née tournoyait,
Le mur du vent broyait,
Comme feu follet tournaillait.
Pour sa part, la puinée,
L’affolement la tiraillait :
Sera-t-elle ruinée
Sa vie lorsqu’elle prendrait son envol ?
Puis elle regarda sa soeur
Pourfendre encor et encor Eole,
Alors courage vint pour son malheur !
Elle agita ses ailes, se souleva
Légèrement,
Hésita un moment
Puis la tête leva,
Vit au sommet un jeune pousse,
Un gros bourgeon :
Elle éviterait peut-être de cette gousse
Un mortel plongeon...
La première soeur puceron
Contempla sa cadette sur l’épineux tronc :
Elle grimpait, grimpait...
Mais l’aînée ne vit pas que elle !
Bien qu’à elle la liberté s’offrait
Elle n’avait pas abandonné - la cruelle ! -
L’idée de se venger !
Elle fendit l’air jusqu’à la canopée,
Ma soeur m’encouragerait ? se dit la puinée.
Elle trouva cela drôle
De voir sa soeur voltiger,
Virevolter comme une folle ;
Résolue, plus vite elle se mit à bouger.
Sitôt arrivée à la cime
Sa vision ultime
Fut le visage riant de sa soeur aînée,
Car cachée par une feuille
A l’arête mamelonnée
Comme l’écueil
Par l’écume d’une vague vivace,
Sa prédatrice mortelle,
Monstre vorace,
Une coccinelle
La mangea de la cervelle
Aux pattes postérieures !
L’aînée, le regard satisfait,
Fière de son forfait
Entrevoyait des saisons meilleures,
Pensait à sa liberté –
A ce gain mal acquis – ,
A ce qu’elle ferait avec ses amis
En toute intimité
( Mais l’ami est apôtre,
Il prêche d’une personne à l’autre
Et bien souvent
Il met du temps
A revenir vers la personne de foi
Car l’amitié n’a pas de Loi !)...
Seulement Mère Nature
Reine de cet insecte
Trouvant la manoeuvre infecte
Décida de punir sa progéniture.
Alors qu’elle rentrait d’un vol léger
Une bourrasque soudaine
Provoquée par le doigt de la Nature Reine
Montrerait mieux ce qu’est se venger
Car notre soeur assassine
Alla se coller sur une toile d’araignée !
Elle n’eut point le temps de faire triste mine :
Les crocs de l’araignée
Déversaient déjà leur venin...
Le sort de sa cadette
Fut plus enviable, enfin !
Si mieux est d’être mangé par la tête !
Tandis que son intérieur de proie
Se liquéfiait,
Se dissolvait,
Pour la première fois
Son geste regrettait :
Ma soeur qui sans cesse m’observait
Qui autrefois
La vie me sauva, maintenant en toi
J’ai foi !
Mais le repentir point ne la sauva
Car Mère Nature appliqua
La sentence de sa Loi..
La vie d’un insecte est courte
Plus longue est la nôtre ;
La saine fraternité qu’on écourte
Pour une amitié, ou autre,
Est vouée à l’échec...
Renier pour une prise de bec
Ce qu’a tissé les liens du sang
Est une fatale erreur, mon enfant.
Précieuse soeur dont on écarte le souvenir
Dans la tourmente ne pourra nous soutenir !